viernes, 9 de septiembre de 2011

“TODA LA CIENCIA DE ESTA TIERRA...”, Albert Camus, Le mythe de Sisyphe.


"He aquí también unos árboles cuya aspereza conozco..."

"He aquí también unos árboles cuya aspereza conozco, y un agua que saboreo. Estos perfumes de hierba y de estrellas, la noche, ciertos crepúsculos en que el corazón se dilata: ¿cómo negaría yo este mundo cuya potencia y cuyas fuerzas experimento? Sin embargo, toda la ciencia de esta tierra no me dará nada que pueda asegurarme que este mundo es mío. Me lo describís y me enseñáis a clasificarlo. Me enumeráis sus leyes y en mi sed de saber consiento en que sean ciertas. Desmontáis su mecanismo y mi esperanza aumenta. En último término, me enseñáis que este universo prestigioso y abigarrado se reduce al átomo y que el átomo mismo se reduce al electrón. Todo esto está bien y espero que continuéis. Pero me habláis de un invisible sistema planetario en el que los electrones gravitan alrededor de un núcleo. Me explicáis este mundo con una imagen. Reconozco entonces que habéis ido a parar a la poesía: no conoceré nunca. ¿Tengo tiempo para indignarme por ello? Ya habéis cambiado de teoría. Así, esta ciencia que debía enseñármelo todo termina en la hipótesis, esta lucidez naufraga en la metáfora, esta incertidumbre se resuelve en obra de arte. ¿Qué necesidad tenía yo de tantos esfuerzos? Las líneas suaves de esas colinas y la mano del crepúsculo sobre este corazón agitado me enseñan mucho más. He vuelto a mi comienzo. Comprendo que si bien puedo, por medio de la ciencia, captar los fenómenos y enumerarlos, no puedo aprehender el mundo. Cuando haya seguido con el dedo todo su relieve no sabré más que ahora. Y vosotros me dais a elegir entre una descripción que es cierta, pero que no me enseña nada, y unas hipótesis que pretenden enseñarme, pero que no son ciertas. Extranjero a mì mismo y a este mundo, armado como toda defensa con un pensamiento que se niega a sí mismo dado que también puede ser afirmado, cuál es esta condición en la que no puedo hallar la paz más que rehusando saber y vivir, donde el apetito de conquista se enfrenta a los muros que desafían sus asaltos? Querer es suscitar paradojas. Todo está ordenado para que nazca esta paz envenenada que otorgan la imprudencia, el sueño del corazón o los mortales renunciamientos."

EL TEXTO ORIGINAL EN FRANCÉS:

"Voici encore des arbres et je connais leur rugueux..."

“Voici encore des arbres et je connais leur rugueux, de l’eau et j’éprouve sa saveur. Ces parfums d’herbe et d’étoiles, la nuit, certains soirs où le cœur se détend, comment nierais-je ce monde dont j’éprouve la puissance et les forces ? Pourtant toute la science de cette terre ne me donnera rien qui puisse m’assurer que ce monde est à moi. Vous me le décrivez et vous m’apprenez à le classer. Vous énumérez ses lois et dans ma soif de savoir je consens qu’elles soient vraies. Vous démontez son mécanisme et mon espoir s’accroît. Au terme dernier, vous m’apprenez que cet univers prestigieux et bariolé se réduit à l’atome et que l’atome lui-même se réduit à l’électron. Tout ceci est bon et j’attends que vous continuiez. Mais vous me parlez d’un invisible système planétaire où des électrons gravitent autour d’un noyau. Vous m’expliquez ce monde avec une image. Je reconnais alors que vous en êtes venus à la poésie : je ne connaîtrai jamais. Ai-je le temps de m’en indigner ? Vous avez déjà changé de théorie. Ainsi cette science qui devait tout m’apprendre finit dans l’hypothèse, cette lucidité sombre dans la métaphore, cette incertitude se résout en œuvre d’art. Qu’avais-je besoin de tant d’effort ? Les lignes douces de ces collines et la main du soir sur ce cœur agité m’en apprennent bien plus. Je suis revenu à mon commencement. Je comprends que, si je puis par la science saisir les phénomènes et les énumérer, je ne puis pour autant appréhender le monde. Quand j’aurais suivi du doigt son relief tout entier, je n’en saurais pas plus. Et vous me donnez à choisir entre une description qui est certaine, mais qui ne m’apprend rien, et des hypothèses qui prétendent m’enseigner, mais qui ne sont point certaines. Étranger à moi-même et à ce monde, armé pour tout secours d’une pensée qui se nie elle-même dès qu’elle s’affirme, quelle est cette condition où je ne puis avoir la paix qu’en refusant de savoir et de vivre, où l’appétit de conquête se heurte à des murs qui défient ses assauts ? Vouloir, c’est susciter les paradoxes. Tout est ordonné pour que prenne naissance cette paix empoisonnée que donnent l’insouciance, le sommeil du cœur ou les renoncements mortels” (1965, Gallimard, Pléiade, p. 111-112).